30 mars 2009

Vie au long.

Jeu d'écriture.
Illustrez à votre manière le proverbe : "Une hirondelle ne fait pas le printemps."
Mot interdit : soleil.


*

D'abord le claquement sec de deux attaches métalliques qui s'ouvrent de concert. Le léger souffle provoqué par l'air s'infiltrant dans le coffret. Le couvercle s'ouvrit, permettant à la lumière de venir frapper le bois verni, et découvrant un intérieur tapissé de velours. Un peu de poussière en suspension dans les rais de lumière ajoutait à la magie de l'acte.
Une main effleura l'instrument, s'éloigna, attrapa l'archet, étonnamment long. Les crins sombres luisaient sous les projecteurs éclairant la scène. La baguette s'éleva, le violon alla se poser sur la clavicule de son propriétaire, retenu par le menton.
Le silence qui régnait était lourd. Chacun des mouvements du violoniste était observé. Une personne osa émettre un toussotement, qu'elle calma bien vite.
 
La première note s'éleva, longue, plaintive, rompant le silence. Tous retinrent leur souffle. Une simple note, mais dont les vibrations atteignirent chacun des spectateurs au plus profond d'eux-même.
Elle se répercutait sur les murs, revenait, résonnait dans la salle conçue et créée pour en optimiser l'acoustique.
Sans transition aucune, le la fut abandonné pour une série de notes, aigues, rapides, joyeuses. Il fut immédiatement suivi par l'ensemble de l'orchestre, resté en retrait jusqu'à maintenant. Altos, violoncelles, contrebasses, chacun y allait de sa partie, de sa partition, pour apporter sa touche à l'ensemble. Ils ne gênaient pas le violoniste, bien au contraire, ils magnifiaient la musique qui émanait de son instrument.

C'est le printemps, zéphyr léger dans tes cheveux dorés, ta jupe qui vole au vent... Moineaux, rossignols, tous fêtent son arrivée en pépiements, piaillements. L'eau de la fontaine a recommencé à couler. Un léger clapotis, ta main dans l'eau. Le doux muguet, le lilas fleurissant et leurs effluves enivrantes. Ton odeur aussi, sucrée, indéfinissable. Toutes ces couleurs, l'eau qui scintille, les arbres qui se parent de leurs plus beaux verts. Ton sourire, tes yeux qui pétillent...
Un nuage sombre à l'horizon, vent qui s'intensifie, pluie, toi qui cours te mettre à l'abri, trempée. Il repart aussitôt, laissant le pré scintillant de gouttelettes, un arc-en-ciel?
La nuit tombe, le ciel se pare de ses plus belles couleurs, orange, rouge, doré... Tu frissones. Toi tout contre moi...
Danse des étoiles, danse de nos corps enlacés.


La musique était fraiche, comme une légère brise au retour des beaux jours.... Allegro.

Rien ne manquait au tableau, rien n'était de trop non plus. Tout comme une hirondelle à elle seule ne pouvait annoncer sa venue, le premier violon n'aurait pu interpréter le Printemps de Vivaldi, sans l'orchestre qui l'accompagnait.

5 mars 2009

Correspondance en la mineur.

Texte écrit en collaboration avec Lunatik.

*

Mon aimé,

J'ai sous les doigts le foulard que vous abandonnâtes dans votre précipitation à quitter ma demeure. Légère et fragile comme vos promesses, la dentelle se dérobe à mes caresses. J'ai sur le corps les marques délicates de vos passions et de vos égarements d'une nuit. J'ai dans le cœur les éclats tranchants de vos indifférences d'antan et de votre fuite d'hier, fichés sous le velours cramoisi de ma robe au drapé irréprochable.

Mais parce que je devine dans les emportements qui vous échappent et dans les faiblesses qui vous assaillent, l'aveu d'un mal qui vous obsède et vous ronge, je vous pardonne. Tout. La rudesse de vos égards comme la violence de vos propos.
Je ne suis plus une enfant, j'ai compris depuis longtemps qu'en vous soustrayant à la société vous tentiez surtout d’échapper aux serres avides de sa curiosité et de sa médisance.
Tandis que je grandissais et que vous vieillissiez, je suivais secrètement la lente évolution de votre déchéance. Peu m'importe que vous ne goûtiez plus les mélodies qu'en esprit, que vous ne distinguiez plus mes pas lorsque je me range à vos côtés et que mes soupirs vous deviennent inaudibles. Je sais que les vibrations d'un piano touchent encore votre âme et il me reste tout mon corps pour vous dire combien je vous aime.

J'ai sous les doigts l'étoffe que vous abandonnâtes dans votre précipitation à quitter mes bras. Misérable et froissée comme mes espérances, elle repose au creux de ma main tremblante. J'ai sur le visage les marques de mon incertitude et de mon égarement. Mais j'ai dans le cœur un reste d'amour pour vous, un reste assez vaste pour nous engloutir tous deux. Car je crois en la tendresse de vos étreintes.

Voilà des années que je vous attends. Je déambule dans des pièces vides qui résonnent des pas étouffés des domestiques, dans des jardins vides qui résonnent des rires muets des enfants, dans des rues vides qui résonnent des cris silencieux des mendiants. Sans vous, sans la chaleur de vos mains pour apaiser mes sens, sans la force de vos symphonies pour bercer mes songes, sans vous tout n'est que vide et silence.

Élise.

*

Ma tendre Élise,

Voici la troisième fois que je recommence cette lettre. Il faut croire que les notes se glissent plus facilement sous ma plume que les mots...

Me pardonnerez-vous jamais ma conduite odieuse de cette nuit? Je me suis véritablement comporté comme le pire rustre que cette terre ait porté. Blâmez-m'en, si tel est votre souhait, je le mérite. Je vous imagine blessée et furieuse à mon endroit, avec raison. Depuis ce matin, je guette avec inquiétude mais résignation le courrier qui m’annoncera ma disgrâce.

Comment vous faire comprendre que ceci n'est nullement dû à vous, mais à moi seul? Non, vous n'avez rien à vous reprocher, douce Élise, rien qui puisse jouer en votre défaveur. Il ne pourrait en être autrement tant vous êtes parfaite. Qu'avez-vous lors à aimer à ce pauvre compositeur dans le déclin que je suis?
Que pourrais-je vous apporter? Déjà je ne puis plus profiter d'entendre votre voix si belle et si douce. Vous avez la vie devant vous, et je ne puis faire obstacle à votre bonheur. Voilà pourquoi je me suis enfui, tel un lâche.

Malgré tout, je tenais à vous affirmer que jamais aucune autre ne pourra posséder mon cœur, jamais, jamais. Pas plus que mon corps, qu'il garde pour toujours les souvenirs de vos caresses...

*

Mon bien-aimé.

Depuis cette première nuit si douce, que vous devez regretter si fort pour ne plus paraître ici ni dans aucun salon, depuis cette dernière nuit si tendre, je reste seule en mes appartements, sans nouvelles et sans forces. Le doute dans lequel me plonge votre silence devient insupportable.
Je crains de vous importuner en vous renouvelant aujourd'hui encore les gages de ma passion. Alors même que je redoute votre courroux, je suis de nouveau, ainsi que chaque soir, étendue sur le sofa à vous écrire avec l'âme qui gite et qui chavire.

Avez-vous reçu mes lettres, seulement ?

J'ai peut être, emportée par mes phrases et le souvenir de vos regards, outrepassé les limites de la bienséance. Mais je ne saurais m'en excuser. Je devrais rougir de chaque mot que ma plume a laissé échapper, pourtant je ne puis que pleurer ceux qu'elle n'a pas osés.
J'espère chaque matin un billet de votre main mais le coursier ne porte jour après jour, semaine après semaine, que l'ennuyeux cortège d'invitations mondaines auxquelles je ne prends plus la peine de répondre…

Je suis lasse, mon adoré, non de vous mais des impatiences de mon cœur qui exige considération. Je voudrais ne plus l'écouter, je voudrais comme vous me réfugier dans le cocon rassurant de la surdité.
Ne plus l'entendre pour ne plus souffrir.
Ne plus entendre pour vous rejoindre enfin.
Et si cela ne se peut, si je ne puis vivre à vos côtés, alors je pars.

Élise.

*

Ma belle aimée,

Encre rouge, synonyme de la passion que je vous voue. Je puis tout me permettre, cette lettre ira rejoindre les précédentes, achevées ou non, dans ce joli petit coffret en bois qui, faute de mieux, orne ma table de chevet. Je l'ai découvert au hasard d'une promenade, quelques jours après cette fameuse nuit. Il vous plairait à coup sûr. Le paysage gravé dans le bois sombre est tout simplement sublime. Tout comme vous, douce Élise. En y conservant mes lettres, j'ai l'impression qu'elles vous parviennent malgré tout. Je vous imagine les lire, sur ce même sofa où je vous ai pour la première fois enlacée, où... La première, et la dernière. O Dieu, pourquoi faut-il s'éloigner de ce qu'on aime ainsi. Vivre, je ne le peux qu'entièrement avec vous, ou pas du tout, mais je vous aime trop pour vous imposer cette vie que je mène. Vous méritez mieux, bien mieux que moi.

Chacune de vos lettres est pour moi une joie et un supplice. Vos mots sans cesse me ramènent à cette nuit que vous refusez d'oublier. Vos termes passionnés ravivent mes souvenirs, et il me faut parfois me faire violence pour m'empêcher de vous rejoindre en votre exil. Pourtant il le faut. Surmonterez-vous la peine que je vous ai causée? Il eût mieux valu que nous ne nous rencontrions jamais. Déjà j'ai disparu de votre entourage. Comment lors osez-vous priver la société d'un de ses plus beaux atours, de votre beauté, à cause de moi? Chacune de vos lettres est une torture, pourtant je ne peux me résigner à vous supplier de cesser. Recevoir un mot de moi ne ferait que vous conforter dans votre persévérance à m'écrire. Et composer une lettre m'est si difficile! Voyez comme ma prose est malhabile.

Je vous parle de composer. Et bien soit. Jamais vous ne me lirez, mais peut-être, un jour, m'entendrez vous. Je me rappelle votre passion pour le pianoforte. Cet instrument qui m'est si cher. Ses vibrations sont pour moi aussi claires que vos paroles, lorsqu'il m'était encore loisible de vous entendre. Fermez les yeux et écoutez. C'est votre lettre que j'écris là. Ce sont mes sentiments que, pour une fois, j'arrive à exprimer. M'entendez-vous? Ressentez-vous ces notes? Elles vous disent "je t'aime"…

Adieu, ma mie. Mais je vous en conjure, ne méconnaissez jamais le cœur de votre fidèle Ludwig.

Éternellement vôtre,

Ludwig

*

Mon tendre ami.

Tant d'années ont passé depuis cette nuit où je voulus croire aveuglément en notre amour. Mais pas une journée sans que je pense à vous, pas un matin sans que je m'éveille l'esprit alangui encore de songes où vous m'apparaissez. Je me suis éloignée certes, mais contrainte, mais forcée car je vous l'assure, je ne vous ai point quitté. Et je retrouve, en prenant la plume pour vous écrire, l'insouciance et la passion qui depuis m'avaient désertée.

J'ai entendu ce jour une bagatelle fort belle que vous composâtes, selon les murmures de salons, il y a plus de quinze ans déjà pour une inconnue. Serait-ce la réponse tant espérée à mes nombreuses lettres demeurées sans retour ?
Alors sans doute cela signifie-t-il que j’ai trop longtemps douté de nous. Et vous de moi.
Ces heures, ces mois, ces années l’un sans l’autre sont autant d’instants de bonheur que nous ne rattraperons jamais. Mais il nous reste encore à vivre et à aimer, il ne tient qu’à nous de ne plus rien laisser perdre.
C’est décidé : je prends le bateau dès que possible pour rallier la France. De là, je vous rejoindrai chez votre frère, où j’ai appris que vous séjourniez. A moins que vous ne retourniez à Vienne, passé Noël.

Peu me chaut, en vérité.
Où que vous soyez, je vous retrouverai.
Ainsi c’est dans vos bras que je verrai éclore le printemps.

Élise.

*

Madame.

J'apprends aujourd'hui votre arrivée imminente en ma demeure de Gneixendorf. J'ai le regret de vous annoncer que les funérailles ont eu lieu ce matin à Vienne. Vous restez évidemment la bienvenue ici, j'ai fait préparer une chambre que vous devez vous sentir libre d'occuper aussi longtemps qu'il vous plaira.

Il faut que vous sachiez que mon frère m'a longuement entretenu à votre sujet et que ses dernières pensées furent pour vous. Il a laissé à votre intention un coffret qu'il m'a chargé de vous remettre. Il contient toutes vos lettres. Et les siennes.

Votre dévoué,
Johann van Beethoven.