27 novembre 2009

Cent titres

Jeu d'écriture du forum Place des Mots.
Il fallait raconter ce qu'a vu, vécu, perçu, un objet de notre choix.
Ou bien le vécu d'un lieu tout entier.


*

Je vieillis, je me flétris. Depuis longtemps je n'attire plus le regard, je le sais. Les jeunes se détournent de moi, les adultes n'ont jamais le temps : trop pressés, trop stressés, que pourrais-je leur apporter, avec toutes mes années ?

Voilà longtemps qu'on ne m'a plus touché. Voilà longtemps que je n'ai plus ressenti la caresse de mains glissant sur mon corps. Je me souviens pourtant de chacune d'entre elles.
Les unes avaient la douceur du velours, les autres étaient sèches et rugueuses. Attentionnées ou brusques, je les ai toutes aimées.
Oh, certaines m'ont froissé, parfois, mais je ne leur en tiens pas rigueur.

Ma vie fut pourtant riche, j'ai tant à partager. J'ai beaucoup voyagé, j'ai connu le confort comme les conditions difficiles. J'ai été seule compagnie sur une île déserte, on a parfois voulu me brûler.
J’ai été torturé, abandonné, trouvé, adopté, cajolé… Est-ce d'avoir trop vécu, que maintenant on m'abandonne ?

J'ai recueilli les larmes d'une jeune fille, les microbes d'un enrhumé aussi parfois... J'ai fait rire et pleurer, s’attendrir et s’emporter. Pourquoi me délaisse-t-on ? Aurais-je tant offert, qu'il ne me reste plus rien ?

N’ai-je plus aucun attrait ? Serais-je devenu si vieux, racorni, décrépit, que ma simple vue vous insupporte ? Est-ce pour cela que vous m’avez remisé ici, avec mes compagnons d’infortune ? Avec pour seul lien avec vous, dernière preuve de notre existence, le frôlement du plumeau effaçant sans relâche les traces du passage du temps.

Mais est-ce vraiment une preuve ? Un livre qui n’est pas lu, existe-t-il encore ?

9 novembre 2009

Die Wende

Ma participation à l'appel à textes de Léonie Colin, sur le thème des murs.

*

Un bruit sourd me vrille les tympans. Juste à mes côtés, quelqu'un lève une seconde fois sa masse pour l'abattre contre le béton. Je le regarde.
D'autres, maintenant encouragés, se joignent à lui. Tous les moyens sont bons. Pioche, masse, tout y passe. Chacun veut y aller de sa participation, pour pouvoir dire, dans quelques années : "jy étais".
Oui, j'y étais. Moi aussi j'y suis. Partout, des gens se pressent, se bousculent, rient. Chacun aura fait tomber son morceau de caillou. Chacun aura participé à cet événement qui restera gravé dans les mémoires.

Hier au soir, la Brandebourg a été ouverte. Il n'y a plus de frontière. Nous sommes libres, enfin.
Je reste face à cette porte, qui n'a plus lieu d'être. D'ici peu, le mur qui l'entoure ne sera plus que ruines. Un peu plus loin, quelques notes s'élèvent. Un violoncelliste est présent. Il participe lui aussi, à sa manière.
D'autres, plus pressés, escaladent, ne prennent même plus la peine de frapper contre ce mur. Ils veulent passer de l'autre côté.

Je suis heureux aussi. Enfin... je devrais l'être. Le Mur est ouvert, enfin. Et bientôt, il ne sera plus. Je devrais être heureux que ce pour quoi nous nous battons depuis tout ce temps devient enfin réalité. Mais aujourd'hui, je ne peux pas.
Hier, avant qu'ils annoncent l'ouverture du Mur, je suis venu ici. Comme tous les soirs. Pour te faire signe. Pour te voir. Mais hier, tu n'es pas venue. C'était la première fois depuis toutes ces années. J'ai attendu longtemps, mais tu n'es pas venue.

Alors aujourd'hui, au lieu de me réjouir avec les autres, la seule chose à laquelle j'arrive à penser est : "Pourquoi pas hier ? Pourquoi juste un jour trop tard ?"
Je ne te reverrai pas. Et avec cette conviction, c'est ce qui m'a tenu en vie, ici, du mauvais côté, qui s'en va.

*


Les faits sont réels. C'est Rostropovich qui jouait sur le Mur.

5 novembre 2009

On vit avec.

Encore un petit texte, comme ça. N'hésitez pas à donner votre avis.

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On n'imagine pas toujours à quel point les gens que nous croisons tous les jours cachent au creux de leur cœur des douleurs indicibles.

Nous les croisons tous les jours, au travail ou au parc où nous allons faire notre footing hebdomadaire. Que ce soit notre collègue de plusieurs années qui est toujours là pour lancer la plaisanterie qui fera rire tout l'open-space ou la caissière du supermarché du coin avec qui nous échangeons quelques mots à force de la croiser à chaque fois que nous faisons les courses.
Nous avons parfois l'impression de les connaître, certains sont même devenus des copains, des amis.
Mais quoi au final? Nous n'échangeons que des banalités, ne savons rien ou presque d'eux. Ils ont l'air heureux, ne semblent pas avoir d'histoire.

Et puis un jour, au cours d'une conversation, une petite phrase est lâchée. Quelques mots, pas plus, vite rattrapés, vite oubliés et la conversation continue. Je n'ai pas entendu la suite de la conversation. Ces quelques mots, simples et sincères, et d'autant plus douloureux, m'ont frappée.
J'ai réalisé que derrière cette personne que je croyais connaître, au moins un peu, ne se cachait pas qu'un collègue de travail, ou un ami avec qui il m'arrive d'aller boire un verre après le boulot avec d'autres.
Derrière cet homme, qui semble si fort, se cache aussi un père qui a souffert.

"Ma fille aurait eu ton âge."

Je ne le connais pas si bien, je ne savais même pas qu'il avait eu une fille. Je ne sais pas ce que peut provoquer la perte d'un enfant, n'en ayant pas moi-même. Je ne peux qu'imaginer. Et même ça me fait mal. Ce doit être une des choses les plus difficiles à vivre.

Alors, quand j'entends ça, je prends conscience. On a beau le savoir, on oublie que chacun d'entre nous porte en lui des douleurs, des cicatrices du passé, qui parfois ont du mal à se refermer.

Alors oui je souffre parfois. Mais lorsque je pense aux autres, qui ont dû faire face à bien pire que moi, je me dis que je n'ai pas le droit de me plaindre.
Ils arrivent encore à sourire. Et je vais continuer de sourire avec eux.