3 mai 2011

Face de lune

Un texte que j'ai écrit pour un concours. Je n'ai pas été sélectionnée, donc autant en profiter pour le mettre quelque part.
Aucun regret, y avait du bon qui participait (n'est-ce pas Yun?)
Les deux premières phrases étaient imposées.


*

Je me suis réveillé avec la marée. Sans doute l’influence du milieu aquatique sur mon cerveau dérangé. Habituellement, je ne me réveille jamais avant marée montante et demi. Au moins. Mais il y a tellement d'eau ici, les rayons se font fortement sentir. Comment les habitant font-ils pour supporter cela ?

Une nuit à peine, et la lune me manque déjà. Mais je n'ai pas le choix, ils me cherchent. Je le sais. Là-haut, ils étaient partout, tout le temps, ils me surveillaient. Jamais je n'avais un instant de répit. Ah, ils se croyaient discrets, ils pensaient que je n'avais rien remarqué. Ils se trompaient. Et maintenant, j'ai réussi à leur échapper.

La nuit passée, juste avant la fermeture, au lever du jour, je me suis glissé dans la Station et ai descendu le premier rayon de Lune pour m'enfuir sur Terre. Ils ne me chercheront pas ici.

Il fait humide. J'ai froid. Pourquoi y a-t-il tant d'eau sur cette planète ? De l'eau en bas - et quelle étendue - de l'eau en l'air. En comparaison de la sécheresse lunaire, le choc est rude. Ils devraient faire comme nous, émigrer et évaporer l'eau nécessaire à leur survie. Ils ne peuvent quand même pas apprécier ça, si ?

Je n'arriverai plus à dormir. De plus, il vaudrait mieux que je me mette en quête d'un abri. Qui sait si mes poursuivants n'ont pas des espions terriens...

Par où aller? Face à moi, l'océan – j'ai eu de la chance avec mon rayon, quelques kilomètres plus à l'ouest et je n'avais même pas droit à la terre ferme -, derrière, des montagnes. Je distingue un groupe d'habitations plus loin, et j'ai faim. Espérons qu'il y ait un day-shop, en plein jour, trouver une échoppe ouverte n'est pas toujours facile.
Le hameau n'est pas bien grand. Quelques lieux de vie, un lieu de restauration, un fournisseur de nourriture. Étrangement, tout est ouvert. Attiré par l'odeur, je rentre dans la boutique du fournisseur. « Au croissant d'or » que ça s'appelle. J'imagine des croissants de soleil. Quelle idée...

- Bonjour monsieur, qu'est-ce que je vous sers ?

- Devant toi je me présente, cher tenancier
Et te demande de m'aller quérir de quoi manger

Allons bon, qu'est-ce qui se passe encore ? Pourquoi il me regarde comme ça le terrien ? Il avait l'air gentil juste avant, avec son visage rond et rouge, son tablier plein de farine.
Il n'a pas compris peut-être ? Ah, on a peut-être l'habitude de vouvoyer les inconnus ici... Je retente.

- Devant vous je me présente, affamé
Et vous prie de me prendre en pitié
Car j'aimerais me sustenter

Pas plus d'effet... C'est mauvais signe.
Il semble prostré, les yeux grand ouverts il me regarde.

- Papa, il y a un problème ?

Une jeune fille vient d'entrer. Elle regarde tour à tour l'homme et moi. Ses yeux... d'un bleu limpide.

Le terrien a repris ses esprits, il se met à parler.

- Je ne suis pas sûr d'avoir compris monsieur, vous voulez acheter du pain ?

- Non... non, tout va bien je vous assure
Je me débrouillerai, soyez-en sûr

Ils ont des espions ici aussi. Vite, partir, fuir. Loin d'ici.

Une dame sort d'une habitation, me regarde. Elle ressemble à la jeune fille, en plus âgée. Sa mère... les mêmes yeux ! Combien sont-ils ?

Je fais demi-tour et cours à perdre haleine sur la route. Le sol se met à trembler sous mes pieds. Que se passe-t-il encore ?
Dans un crissement insoutenable à mes oreilles, un énorme véhicule s'arrête à côté de moi.

- Eh mon gars, qu'est-ce tu fiches là ? On croirait qu't'es poursuivi par le diable !

D'où vient cette voix ? La panique, qui m'avait comme statufié un instant auparavant, se dissipe, ce qui me permet de distinguer une tête quelque part au dessus de moi.

Il me sourit, il ne semble pas antipathique.

- Vous avez vu juste, cher ami
Car je cherche à m'éloigner ici
Le plus vite serait le mieux
Il me vient une peur de ces lieux

Qu'est-ce qu'ils ont tous à me regarder comme ça ? Ah, il éclate de rire.

- T'es un marrant toi mon gars, allez, monte, j't'embarque : direction la ville.

Une porte s'ouvre et j'y grimpe. Ce véhicule est très étrange. Très haut, très grand, très bruyant. Pourtant, seule la partie avant est accessible.

Le voyage s'est bien passé. Le terrien sent un peu mauvais et parle fort, mais il est sympathique. Il m'a lancé un drôle de regard lorsque je lui ai demandé une couverture, il ne semblait pas comprendre que j'avais froid. Il a prononcé un mot que je ne connais pas : canicule.

Et ils sont étranges sur cette planète ! Ils dorment la nuit et vivent le jour. Seraient-ils adorateurs du Soleil, alors que c'est à la Lune, à nous, qu'ils doivent tout ?

Raoul, le camionneur – c'est lui qui m'a donné son nom et sa fonction –, me regarde de plus en plus étrangement. Dans ses iris marrons brille une lueur d'inquiétude... je crains de voir une lueur claire y apparaître, mais ce n'est pas encore le cas. C'est un ami. Un vrai terrien, pas un espion. Non, je le saurais.

On s'arrête. Je commence à comprendre leur fonctionnement ici, mais la nuit est encore loin pourtant. Que fait-on ?

- Terminus mon gars. On est arrivé.

- Très cher ami
Je suis votre obligé
De m'avoir emmené
Jusqu'ici
Permettez-moi de payer
L'embarras consenti
Par quelque quatrain ou tercet

- Euh, ouais, ouais, c'est ça. Descends maintenant.

La porte s'ouvre, et des terriens, tous de blanc vêtus, m'attrapent sans que j'ai le temps de me débattre.

Je hurle.

- Traitre ! Fourbe ! Scélérat !
Ainsi donc ils se sont servis de toi !
Comment as-tu pu oser
Je te croyais mon allié !

Je suis entravé, lié, je ne peux plus bouger. Des terriens passent et repassent, m'examinent, me touchent, me posent des questions.
Ils m'ont même enlevé ma couverture. J'ai froid.

Ça y est, ils m'ont enfermé. La seule fenêtre donne au nord, jamais plus je ne verrai la lune.
Ils m'ont eu. Je croyais leur avoir échappé, je suis tombé dans leur piège. Je savais qu'ils en avaient après moi. Ils m'ont eu.
La preuve : celui qui m'a dit être mon « médecin » a les yeux bleus.