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Je suis allée à la parfumerie
aujourd'hui. Celle où tu allais.
Elle est belle et spacieuse, l'air y
est respirable, contrairement à beaucoup d'autres.
Je suis restée un moment à attendre
avant d'oser rentrer dans la boutique. Qu'il y ait du monde. Qu'on ne
me remarque pas.
Je n'avais pas envie qu'on me pose de
question. Trop long, trop dur à expliquer. Trop peu compréhensible
aussi, je crois.
J'ai vite repéré le parfum souhaité.
Le flacon est très reconnaissable, il est très joli en plus. Le
verre forme comme un petit nœud au niveau du goulot, c'est vraiment
bien fait. Pas étonnant que les parfums soient chers, en plus de ce
qu'il y a dedans, on paye le contenant. Ça représente aussi
beaucoup de travail.
En parlant de nœud, j'en avais un au
creux du ventre, j'avais peur. Je ne voulais surtout pas qu'on me
voie faire.
Lorsque je me suis assurée que chacune
des vendeuses était occupée à conseiller quelqu'un, et occupée,
j'ai pris un de ces petits papiers qui servent à tester. Je n'avais
jamais compris à quoi ils servaient avant, je préférais utiliser
l'intérieur du poignet pour me faire une idée de l'odeur.
Mais là, c'est différent. J'en ai
vaporisé sur la languette et je suis immédiatement repartie,
évitant les regards, pour être sûre qu'aucune conseillère ne
tente de venir me parler.
Rentrée à la maison, j'ai ouvert mon
roman en cours, et j'ai jeté la vieille languette – elle ne
sentait plus rien – et y ai placé la nouvelle, en marque-page.
Je pourrai continuer à avoir ton odeur
comme ça lorsque je lirai. J'aimais bien quand tu me faisais la
lecture, étant petite. Et ce soupçon de parfum me fait parfois
penser que tu es encore là, que je peux encore te toucher, te
sentir. Même si ce n'est plus vrai.