28 février 2011

La petite boulangère.

Les organisateurs du jeu sont fous. Cette fois-ci, le thème était de s'inspirer de deux photos, et d'insérer dans le texte deux alexandrins, rimant entre eux et séparés de minimum 500 caractères.

*

Elle est gentille la petite boulangère du coin de la rue. Toujours souriante, toujours le mot gentil aux clients. Elle se souvient du nom de tous les habitués.

Elle est mignonne la petite boulangère. Et elle a toujours de bonnes idées, qui satisferont les jeunes boutonneux comme les mémés.
Parce qu'elle sait que lorsque les amoureux sont à l'honneur, tout n'est pas rose pour tout le monde. Elle est bien obligée de faire des gâteaux spéciaux, ils sont tout jolis, mais elle les fait surtout sur commande. Et dans la boulangerie, elle a installé un grand panneau. Très grand. Où chacun peut écrire un mot gentil, un message personnel.

Le tableau, il est bien rempli. Elle a eu beaucoup de clients aujourd'hui. Là, un ado a écrit « Véro, je t'M », ici, Madame Gérard la remercie pour les croissants. Puis son regard est attiré sur une unique phrase, écrite en turquoise :
« Se voir le plus possible et s’aimer seulement »

Son cœur manque un battement. Elle n'a jamais été férue de poésie, du mal avec les rimes sans doute, et l'exercice de style. Quitte à en lire, autant les vers libres. Prévert. Ça sonne plus naturel à ses oreilles.
Mais ce poème-là, très précisément, elle le connaît. Elle pourrait le réciter entièrement, de mémoire. Le vers clignote devant ses yeux, résonne à ses oreilles. Et puis soudain, son corps se souvient de respirer, son esprit est envahi de questions : qui ? Pourquoi ?

Elle a beau chercher parmi les clients de la journée, elle n'a aucune idée de l'identité de l'auteur du message. Elle ne reconnait pas l'écriture non plus. Il y a eu tellement de clients, quelques inconnus aussi.
Follement, elle se met à espérer que ce serait peut-être cet habitué dont elle connaît à peine la voix, mais dont les yeux sont si troublants. Il articule à peine un merci lorsqu'elle le sert, mais elle voit le sourire dans le fond de ces iris vert amande. Bien habillé et discret, elle aime bien le croiser.
Comment savoir ?

Le lendemain, en lieu et place d'offre du jour sur son ardoise sur le comptoir, un vers, à la craie bleue :

« Vivre à deux et donner son cœur à tout moment »

Elle a bien l'intention de regarder attentivement la réaction de chaque client. Elle découvrira sans doute qui est le coupable.

Entre l'habitué. Sa grande taille rend sa démarche un peu gauche, elle trouve ça charmant. Son regard se pose sur l'ardoise, et ses yeux s'agrandissent de surprise à la lecture du contenu, l'espace d'un instant. Elle s'étonne de la quantité de choses qu'il est possible de lire sur son visage si expressif.
La boulangerie est vide, par chance. Il la regarde, et lui sourit vraiment pour une fois.

« Je m'appelle Alfred ».

Elle sourit.