21 décembre 2009

Famine

Cette fois-ci, il fallait raconter un conte connu - Le joueur de flûte de Hamelin - du point de vue d'un personnage secondaire de l'histoire.

*

Chaque soir, Aliénor faisait et refaisait ses comptes, inlassablement, désespérément.
Et chaque nuit, sans exception, elle finissait par se prendre la tête dans les mains, et pleurer. Elle était ruinée. Les rats, ces saletés de vermines qui avaient envahi la ville, avaient mangé toute sa maigre récolte. Elle n'avait plus rien à manger, elle n'avait plus d'argent. La fin était sans doute proche.

Ce soir-là n'échappa pas à la règle. Elle se retourna pour regarder dans le lit, son petit garçon endormi. Pauvre petit, la faim est quelque chose de difficile à vivre. Et elle savait qu'elle ne pourrait supporter de le voir souffrir. Mais que pouvait-elle faire ? La vie était dure pour les jeunes veuves, elle n'avait aucune aide, et son fils était trop jeune que pour travailler.

Cet homme, qui avait fait disparaître les rats, n'avait pas fait repousser les récoltes. Il lui faudrait attendre plusieurs mois avant que les nouvelles récoltes ne poussent, et qu'allait-elle faire entre-temps ? Seule, elle y parviendrait sans doute, difficilement, mais elle saurait s'en sortir. Mais son petit ? Son enfant, qu'elle chérissait, comment le nourrirait-elle ?

A sa table, comme chaque soir, au creux de la nuit, l'esprit d'Aliénor s'enfuyait. Elle imaginait alors des solutions, chacune plus horrible que la précédente. Elle secouait la tête, se raisonnait. Non, même mourante, elle ne se résoudrait jamais à manger son fils, ni lui faire quoi que ce soit. Elle chassait bien vite ces idées.

En désespoir de cause, elle voulu aller trouver le bourgmestre, lui expliquer sa situation. Il mangeait à sa faim lui, malgré les rats. Mais il était réputé pour être sans cœur. Comprendrait-il, ou la renverrait-il ? Elle ne savait pas, elle ne savait plus. Mais c'était son dernier espoir.

Elle croisa le dresseur de rats, leur sauveur. Et là, l'idée qui lui était venue pendant la nuit se rappela à elle, insistante, envoûtante. La faim la tiraillait, elle ne savait plus où elle en était. La fin était proche. Bientôt, elle serait morte, et si elle n'était plus là, qui s'occuperait de son enfant ?

Alors elle changea quelque peu son discours au bourgmestre. Rusa.
Et attendit le joueur de flûte, qui s'entretint avec lui juste après. Comme elle s'en doutait, il était en rage, ses quelques écus en main. Elle lui adressa quelques mots également. Convint de la difficulté de sa situation, et qu'il devait se venger.

Puis attendit. Chaque soir.
Quelques jours plus tard, ce furent les enfant qui ne revinrent pas. Ils disparurent, à tout jamais. Le sauveur floué s'était vengé.
Et elle survécut, faisant taire sa conscience en se disant qu'au moins, son fils n'avait pas souffert...

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