7 juin 2010

Pierrot

Consigne : raconter une histoire du point de vue d'un enfant de maximum huit ans.

*

J'ai joué toute la journée avec Jeanne. Jeanne c'est ma grande sœur, la celle qu'est là-bas. Il faisait froid dehors aujourd'hui, plus froid que les autres jours. Alors les parents ils ont pas voulu qu'on sorte. On a joué à cache-cache, mais c'est pas facile parce que les meilleures cachettes, on a pas le droit d'y aller. C'est pas bien d'entrer chez les gens.

C'est long toute une journée, surtout qu'on a pas le droit d'aller là où y a du tapis sur le sol, il paraît que c'est les parties pour les riches. On est pas riches nous.

Après déjeuner, ou alors après la sieste, je sais plus, on a voulu chasser les rats. On m'a dit qu'y en a toujours, mais nous, on en a pas trouvé. Si y en a, ils sont bien cachés.

C'était pas bon le repas ce soir. Pas de viande, et les légumes, ils étaient pas frais. Puis en fait j'aime pas les légumes. Et après papa et maman ils ont demandé qu'on aille dormir.
C'est là que ça n'a plus été normal.
Tout a bougé – je suis presque tombé du lit – et beaucoup de bruit. Papa et maman nous ont réveillés, et ils nous ont dit de mettre des vêtements chauds. On a pas compris, on voulait dormir nous, il était tard, mais on a obéit.

Dans le couloir, des gens couraient tout partout. On s'est fait bousculer, on a perdu papa et maman de vue. On nous a dit qu'il fallait monter et qu'on les retrouverait là-bas.
Mais en haut des escaliers, juste avant là où il y a du tapis au sol, on avait fermé des grilles pour pas qu'on passe. J'avais même pas vu qu'il y avait des grilles.
Un monsieur très gentil nous a dit de le suivre, qu'il savait comment on pouvait monter. Comme c'était de l'autre côté qu'on retrouverait nos parents, on l'a suivi, on avait peur.

Je sais pas par où on est passé, il nous a fait grimper une échelle, vous savez, ces barres en métal qui dépassent des murs. C'est plus dur à monter que je pensais, mais on y est arrivés.

Là, il y avait encore plus de monde que d'où on venait. Des gens, partout, on nous poussait. Je serrais très fort la main de Jeanne, je voulais surtout pas la perdre. On est allés dans le même sens que les autres, c'est sûrement là qu'ils étaient.
C'est joli par là, on avait pas pu y aller avant. Y avait même des gens qui jouaient de la musique.

Et puis, tout est allé très vite. Un monsieur nous a pris, Jeanne et moi, et nous a déposé dans une petite barque. On voulait pas, on voulait voir papa et maman nous. Puis le monsieur, il a embrassé une dame avec un gros ventre qui était là aussi, comme papa et maman ils s'embrassent quand ils pensent qu'on voit pas, et il est ressorti. Faut dire qu'on était serrés, il aurait pas pu s'asseoir, il y avait plus de place. Avant qu'on ait pu rouspéter, le canot est descendu dans l'eau.

Partout sur l'eau, j'ai vu des barques comme la nôtre, plein de gens. On avait froid, très froid, heureusement qu'on était beaucoup, on se tenait un peu chaud serrés tous ensemble.

Je voyais les étoiles et la mer, j'étais pas assis dans le bon sens. Mais quand je me suis retourné pour voir, le gros bateau dans lequel on était, il allait dans le fond de l'eau. Des gens criaient partout, je sais pas pourquoi, ça m'a fait pleurer.

Puis vous êtes arrivés et vous nous avez pris sur ce bateau, et c'est là que vous nous avez montré le gros glaçon.

Dites monsieur, ils sont où mon papa et ma maman?

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
je trouve que c'est très réussi comme "vision enfantine", et j'aime beaucoup votre(euh pardon...)TON style.
C'est franc et direct et poétique à la fois...
Bravo encore!

Mon Amie Koumori

Castor tillon a dit…

Quand on entend cette histoire, on pense à un crétin de Commandant, ou à LéoPrio di Canardo.
Mais qu'on se mette dans la peau d'un petit enfant qu'on bouscule, qui a froid et qui se croit abandonné de ses parents ajoute un ressenti glaçant (sans jeu de mots, hein).

Chrysopale a dit…

Je ne sais pas quoi dire à part : merci.

C'est tiré d'un fait réel, cet homme qui a laissé sa place à un enfant, qui m'avait glacé le sang (à nouveau, sans jeu de mots).