15 novembre 2008

Enfin en paix.

Texte envoyé au concours "Plumes d'Insomniaques".
Le principe : le thème est publié à 19h, le texte est à envoyer avant 7h le lendemain matin.
J'ai gagné... vous y croyez vous?


*

C’était la dernière personne à rencontrer. Elle le savait. Elle, c’était Gysèle. 97 ans, plus toutes ses dents peut-être (plus aucune même), mais encore toute sa tête. Quoiqu’elle eut un instant de doute en voyant la jeune femme apparaître devant elle. Celle-ci était très belle, avec ses longs cheveux noirs cascadant sur ses épaules, et ses yeux tout aussi foncés, à tel point qu’on ne distinguait plus l’iris de la pupille. Du reste, sa tenue était on ne peut plus joyeuse, formant un joli contraste : une belle robe rouge flattant agréablement ses formes, et un petit chapeau de paille agrémenté de coquelicots.
Mais Gysèle ne s'étonna pas outre mesure de la présence soudaine de la dame. Elle referma son roman.
-  Vous arrivez au bon moment, je viens de le finir, fit-elle avec un petit mouvement de tête vers le livre, qu'elle déposa sur le guéridon qui, avec les deux fauteuils encadrant l'âtre, formait le seul mobilier que cette pièce comptait.
- Je sais, répondit simplement l’inconnue.
- Je suis prête.
- Nous avons encore quelques minutes devant nous.
- Asseyez-vous donc un instant dans ce cas.

La femme en rouge s'exécuta, s'installant face à Gysèle. Elle l'observa un instant, la détaillant. Le visage de la vieille était sillonné de rides. L'on voyait bien que les malheurs et la souffrance avaient marqués cette vie. Les larmes avaient du couler plus qu'à leur tour sur ces joues qui maintenant pendaient, s'accrochant encore avec peine à sa mâchoire. Mais ce visage aujourd'hui ravagé par les années et les souffrances gardait comme une ombre, un reflet de la beauté qui avait été sienne dans les jours anciens. Les yeux surtout n'avaient rien perdu de leur éclat, ces yeux gris-bleus, qui... fixaient la jeune femme, coupant court à ses rêveries.

- Je ne vous imaginais pas comme ça. La voix était légèrement chevrotante, d'avoir trop ri ou trop pleuré. Peut-être était-ce les deux.

Un sourire.
- On préfère éviter de penser à moi généralement. Difficile en ce cas de se faire une idée. Et la simple mention de mon nom fait peur à ceux qui osent tenter de m'imaginer. Et il leur est plus facile de craindre quelque chose d'horrible
- C'est vrai.
- Et vous? Vous n'avez pas peur?
- Peur de quoi? De vous? Vous n'êtes pas effrayante. De ce que vous représentez? Oui, à une époque je l'avoue. Il y a longtemps...
- Et plus maintenant?
- Non. Je n'ai plus de raison de vous craindre.

Un silence vint faire suite à cette déclaration. Gysèle était partie dans ses pensées, l'autre femme contemplant la pièce presque nue aux murs fissurés. Le feu brûlait dans l'âtre, mais la chaleur qu'il procurait parvenait à peine à faire oublier les courants d'air glacé qui s'infiltraient partout, transperçaient les vêtements pour venir vous glacer les os. Dans cette vieille pièce froide, la jeunesse et la fraicheur qu'apportait la jeune femme étaient presque bienvenus.

- Vais-je souffrir?
- Non. Vous ne sentirez rien. Tout a été prévu.
- Merci.

A nouveau le silence emplit la pièce. Gysèle souriait, apaisée. Elle avait tellement souffert dans sa vie. D'abord son mari, assassiné sous ses yeux. Oh, combien de temps n'avait-elle pu dormir sans faire de cauchemar? Elle secoua un peu la tête, voulant effacer cela de sa mémoire. Elle ne voulait garder que les bons souvenirs, l'heure n'était plus aux larmes ni aux regrets.

- Vous êtes une femme étrange Gysèle. Vous ne savez pas ce qui vous attend, mais ne posez aucune question. N'êtes-vous pas curieuse?
- A quoi bon. Je n'ai nullement l'intention de me torturer l'esprit. Je le saurai bien assez tôt.

La dame en rouge se leva.

- Allons. Il est l'heure.

Elle tendit la main à Gysèle, qui l'agrippa. Avec lenteur, elle quitta son vieux fauteuil défoncé et se posta, tremblante, sur ses jambes. Les deux femmes se regardèrent.

- Un dernier souhait? Un regret?
- Le seul regret que je puisse avoir, est que j'ai perdu mon mari depuis bien trop longtemps, et mes enfants trop peu de temps après. J'aurais voulu les garder près de moi encore un peu. D'ailleurs, pourquoi moi? Pourquoi ai-je survécu?
- Parce qu'il le fallait. Pour l'exemple que vous avez donné sans le savoir à toutes ces personnes qui ont croisé votre chemin. Malgré les tempêtes et les souffrances, vous avez toujours gardé votre sourire. Ces personnes, vous les avez aidées. Vous leur avez donné la preuve que quoiqu'il arrive, il est encore possible d'être heureux.

Les larmes coulaient à nouveau sur les joues de Gysèle, mais elle ne s'en inquiétait plus. C'étaient des larmes de joie et de soulagement. D'un regard, elle fit savoir à la Grande Faucheuse qu'elle était fin prête. Elle ferma les yeux, et attendit.
Elle ne sentit plus rien. Elle rouvrit les yeux, pour découvrir sa famille, au complet! Son dernier souhait avait été réalisé. Finie sa maladie et sa vieillesse, ne restait que la joie d'une réunion autour de la survivante. Ce soir, elle s'endormirait définitivement, le coeur léger.


L'électrocardiogramme était maintenant plat. La vieille Gysèle pouvait reposer en paix. L'infirmière débrancha les machines qui gardaient la "souriante", comme ils l'appelaient, en vie. Des années de comas, et de souffrance. Mais le sourire n'avait jamais quitté ses lèvres, au grand étonnement de tous les médecins qui s'étaient succédés à son chevet.
La jeune femme en blanc regarda la seringue qui était encore sur sa table de chevet. Il fallait la faire disparaître. Personne ne devait être au courant. Médicament expérimental ils avaient dit. Qui permettait de passer ses derniers instants à vivre ses rêves.
Viviane, elle avait décidé que cette pauvre femme de la chambre 569 y avait droit. Des années qu'elle souffrait, mais qu'on ne pouvait rien faire, à cause de ce sourire. Patient conscient, ç'aurait été un meurtre. Mais Viviane n'en pouvait plus de voir cette pauvre dame souffrir et ne rien pouvoir faire pour elle. Elle n'était pas devenue infirmière pour ça. Elle regardait ce visage toujours souriant, maintenant libre de toute douleur. Elle reposait en paix.

3 commentaires:

Yunette a dit…

*mode jalouse on*
Ouais t'as gagné ouais... pfff quelle idée j'ai eu de te faire connaitre AVP hein, tu m'expliques ?
*mode jalouse off*
Ben euh, bravo !

Chrysopale a dit…

Bah tu m'as fait venir pour pouvoir dire que tu connais la gagnante des insomniaques! :-D
J'rigole hein. En plus, le tien de texte est magnifique, il ne mérite pas la place qu'il a eu.

Lucy a dit…

Ca part d'un basique.....
Et puis ça se transforme imperceptiblement pour chuter version seringue et hopital.
Géniale idée ! Bravo.