26 octobre 2009

La favorite.

Le but du jeu était d'écrire un texte ayant pour thème la jalousie et incluant les mots : Argent, Escalier, Vide, Dauphin, Hésiter.

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Elle a toujours été la favorite. Qu'on ne me sorte pas les platitudes du genre "les jumeaux sont des êtres à part", "ils ont une complicité, un lien particulier qui les unit"... Blabla, foutaises que tout ça, rien n'est vrai.
Ce qui l'est par contre, c'est qu'on se ressemble comme deux gouttes d'eau. Impossible de nous différencier. Monozygotes. Et pourtant c'est elle qu'on préfère.
C'est à elle qu'on fait les plus beaux cadeaux. Moi aussi je voulais aller nager avec les dauphins ! Elle ne les aime même pas, ce sont mes animaux favoris ! Mais non, elle y a eu droit et pas moi. Je n'ai jamais compris. Elle ne fait rien, toute la journée couchée, à attendre qu'on la serve, telle une princesse en son château. C'est ça tiens, elle la princesse, et moi Cendrillon, à récurer les escaliers et faire le ménage. J'ai toujours tenté d'être aimable, serviable. Au départ, je me disais que la situation évoluerait avec le temps, qu'on me reconnaîtrait, rien qu'un peu. Que nenni !
J'aidais aux tâches ménagères, faisais même quelques menues réparations, mais jamais je n'ai reçu ne fût-ce qu'un merci de la part de nos parents. Ils n'avaient d'yeux que pour elle. Je faisais partie intégrante du décor, je suis sûre que certains amis de la famille étaient convaincus qu'elle est enfant unique, la pauvrette...

Je ne demandais pourtant pas grand chose. Un regard, une parole de temps en temps. Qu'on cesse enfin de passer à côté de moi sans me voir.
Oh, oui, on s'est souvenu de mon existence. Lorsque les études finies, j'ai commencé à travailler, et surtout à gagner de l'argent. Il fallait que je participe aux frais de la maisonnée. Aux frais de mademoiselle oui. Je l'ai fait de bonne grâce pourtant, voyant là enfin un signe. J'avais souffert en silence, toutes ces années. Un manque d'affection, de contacts physiques.

Rien n'a changé. La plus grosse partie de ma paie allait à eux, et donc à ma sœur en somme. Je payais ses caprices, ses envies. Et il ne me restait rien à économiser.
Qu'on ne me demande pas alors pourquoi il y a deux jours, j'étais penchée par la plus haute fenêtre de la maison, hésitant à sauter ou non dans le vide. Je n'en pouvais tout simplement plus. Marre de cette vie de renom, entièrement dédiée à ma sœur. À ne rien pouvoir faire, car j'aurais tout gâché. Je devais me préserver pour elle.
J'ai eu de la chance ce jour-là, elle était en forme. Elle m'a surprise, et le fut à son tour me voyant dans cette position. Pour une fois, quelqu'un – et elle de surcroît – m'adressa la parole pour autre chose que demander un service. J'ai compris le profit que je pouvais tirer de la situation. L'ai fait approcher, lui ai parlé, peu, très simplement, pour qu'elle comprenne.

Le lendemain matin, on a retrouvé un corps écrasé en bas de la fenêtre. Le mien. Enfin, c'est ce qu'ils croient tous. J'ai enfilé sa chemise de nuit, me suis couchée dans son lit. Et j'ai attendu. Ils n'y ont vu que du feu. Ils ont un peu pleuré, pour la forme, se réjouissant surtout de ne pas avoir perdu leur chérie. Et du fait que l'opération était déjà passée, une chance, il aurait fallu trouver un autre donneur. J'ai passé quelques examens, il semblerait que le cancer ait disparu. Que j'ai des chances d'enfin me rétablir.

Après tout, je vivrai très bien avec un rein...

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